Le CD de L’Intégrale d’AP(nrs 207 à 210) contenait les numéros de la revue de 1950 à 2012, un index des noms des participants, un inventaire des sommaires et des livres publiés par AP etc, le tout rassemblé par Éric Suchère. Les numéros se trouvent ici.

Action Poétique


Nous ne ferons pas ici l’historique complet d’Action Poétique, revue à la longue vie, incontournable du paysage littéraire français, mais renverrons les lecteurs à la référence qu’est toujours le livre de Pascal Boulanger, Une Action Poétique de 1950 à aujourd’hui, suivi d’une anthologie, ainsi qu’au livre de Claude Adelen, Henri Deluy, une passion de l’immédiat, centré sur l’oeuvre poétique d’HD. 

Nous nous contenterons ici d’introduire AP en donnant quelques repères.

« L’Action Poétique » nait à Marseille à la toute fin des années quarante, à l’initiative des « poètes de Marseille », Jean Malrieu et Gérard Neveu. Au fil de sa longue histoire, elle va changer plusieurs fois de format et de présentation. D’abord simple feuille de chou ronéotypée, devenue journal en 1953, puis augmentée à 6 pages en 54, Action Poétique va rapidement se faire une place et trouver ses lecteurs : l’époque est chargée de guerres et d’agitation sociale et les jeunes poètes, totalement engagés à gauche, souvent issus de milieux populaires, impliquent la poésie dans leur militantisme.

 En 1955 c’est une revue, qui à partir de 58 sera publiée en principe 3 fois par an. Au comité de rédaction comprenant Liberati, Neveu, Malrieu, Cousin et Guery s’ajoutent Deluy, Guglielmi et Todrani.

Dans le petit monde de la poésie à Marseille, une revue jouait alors un rôle central : à l’origine Fortunio, crée par d’Aubarède et Giono en 1914, elle va continuer sa route sous le nom de Cahiers du Sud et la direction de Jean Ballard et publier de grands noms aussi bien que de jeunes poètes. Aux côtés de Caillois, Artaud, Brauquier, Butor, Crevel, Peret, Yourcenar et bien d’autres on trouve les premiers écrits de Guglielmi, Neveu, Liberati, Todrani, Malrieu, Viton, Arseguel, Deluy etc. qui seront le noyau d’AP, et Jean Tortel, qui eut une grande influence sur la nouvelle génération (voir vidéo plus bas).

Affiche du sommaire d’Action Poétique “Ports & Marine”, 1955.

Fête de la Marseillaise, Gémenos

C. Adelen fait le récit de cette agitation littéraire, amicale, politique autour des Cahiers, entre hostilité envers les « petits bourgeois apolitiques » et leur influence manifeste dans l’importance accordée au passé et les références culturelles.

Concernée par plusieurs des problèmes qui agitent à l’époque le milieu de la poésie, AP s’élèvera à la fois contre le poème simplifié pour être accessible à tous et les feux d’artifice langagiers et métaphoriques du surréalisme. Le retour d’Aragon au vers entraîne des polémiques sans fin. Définitivement du côté de la Révolution, les poètes d’AP appuient la guerre d’Algérie et dans leurs premiers numéros on peut lire Kateb Yacine, Neruda, Mohamed Dib mais aussi les poètes occitans et provençaux.

En 1958 Henri Deluy devient rédacteur en chef d’AP et en restera le fil conducteur jusqu’au dernier numéro en 2012.

En 50 ans, la revue sera agitée de nombreuses crises qui suivent pour la plupart les évènements politiques et les évolutions sociales. Dans le monde littéraire, une secousse viendra en 1960 de la création de l’Oulipo et celle de la revue Tel Quel, avec Francis Ponge, Marcellin Pleynet, Philippe Sollers, Denis Roche etc., et leur travail sur le langage et l’expérimentation. Au comité de rédaction, le groupe aux idées divergentes commence à se fissurer, avec les partisans d’un néo-surréalisme, ceux qui défendent le Gaullisme et Henri Deluy, accusé d’autoritarisme. Plusieurs poètes vont partir, la revue déménage avec HD qui part s’installer à Paris, et se scinde en 2 groupes géographiques. Roubaud et Dobzynski se joignent à l’équipe. Les rubriques permettent tous les points de vue, toutes les opinions, contrairement aux critiques persistantes et mal informées qui ont nui à la revue et son directeur (voir vidéo plus bas sur l’Histoire d’AP). Les traductions se multiplient et resteront un point fort.

La revue va être éditée, imprimée pour un temps par P-J Oswald qui publiera par ailleurs les recueils de nombreux poètes d’AP.

En 1966 H.D est à Prague, une partie du comité de rédaction est fatiguée de l’activisme, du réalisme socialiste et cherche un autre cadre. Ses membres sont touchés par la vague de critique du socialisme et d’anti-stalinisme qui influe aussi sur la pratique littéraire. Des mouvements d’extrême gauche se manifestent, maoïstes, trotskystes, adeptes du Che etc. Plusieurs poètes quittent AP, qu’ils taxent d’immobilisme. Création de Mantéia, fin des Cahiers du Sud.



Mai 68 va changer le cours de la revue, qui introduit de nouveaux membres dans le comité de rédaction et qui élargit également ses intérêts. Psychanalyse et linguistique font leur entrée avec Élisabeth Roudinesco et Mitsou Ronat. Les querelles internes abondent et les sujets traités se diversifient : poésie américaine, formalistes russes, poètes de tous horizons, avant-gardes, discussions autour des multiples formes poétiques et les travaux de Roubaud etc.

En 68 toujours, création de la Revue Change par Jean-Pierre Faye qui a quitté Tel Quel, avec entre autres Jacques Roubaud, Mitsou Ronat.

En 69, Création d’Orange Export Ltd par Emmanuel Hocquard et la peintre Raquel.

Dans les années 70, les multiples textes, rubriques et chroniques, vont tenter de préciser les rapports de la revue avec la politique, tout en confirmant son rôle essentiel dans les débats de l’époque comme le rôle des avant-gardes, le futurisme, le Proletkult, la poésie américaine etc. Essentielle aussi, sa position de relai pour de nombreux nouveaux poètes. Se joignent à AP : Jean-Pierre Balpe, Yvan Mignot, Martine Broda, Yves Boudier, Liliane Giraudon et d’autres. 1975 verra l’important no 64 dirigé par Roubaud sur les troubadours, et le no 75 sera consacré aux trobaïritz (P. Boulanger p 92-94). Les années 80 vont débuter dans la discorde autour d’un texte de Jean Daive.



Création de IF, par Liliane Giraudon qui a quitté AP, avec Jean-Jacques Viton.

On fêtera les 80 ans de Jean Tortel, grand rassembleur, ainsi que les 25 ans de la revue, avec de nombreuses contributions. HD publie en 83 sa première anthologie, un état des lieux de la poésie en large éventail ( L’Anthologie arbitraire d’une nouvelle poésie : 1960-1982, trente poètes).

Les années 90 et les suivantes verront les multiples rencontres avec de jeunes poètes des quatre coins du monde dans le cadre de la Biennale Internationale des poètes en Val de Marne dont il est question plus bas, mais aussi de grands dossiers sur la poésie française, C. Prigent (Ceux qui merdRent), la traduction, l’informatique. Henri Deluy provoque étonnement et critiques en posant en 93 la question “La forme-poésie va-t-elle, peut-elle, doit-elle disparaître?”. En 96 , thème de l’actualité théorique en poésie, un nouvel état des lieux.

Nouvelles revues : Nioques, Fig., Java, la Revue de littérature générale. Des membres d’AP participent également à d’autres revues.

Pendant ces mêmes années, c’est l’apparition en 4e de couverture de recettes récoltées au cours de ses voyages par HD, fin gourmet gourmand. Le dernier numéro d’AP, en 2012, se conclura par la recette du Flan.

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LE FLAN

Vous pouvez croire ce que racontent les livres de cuisine, les dictionnaires gastronomiques, les agendas culinaires, les recettes du terroir..
Vous pouvez croire que les flans salés à la bordelaise (moelle de bœuf), à la florentine (épinards), à la volaille (foies), à la bourguignonne (poireaux, béchamel), à la Brillat Savarin (truffe, parmesan), de tomates au banon, de légumes à la tome, aux herbes aromatiques, d’écrevisses Nantua (ou crevettes, crabe, langouste), à la financière, au fromage (gruyère), aux fruits de mer (tous), à la reine (salpicon de volaille), à la sole, sont des flans..

Vous pouvez croire que les flans sucrés aux fruits divers, aux brugnons, aux coings (pelés, épépinés), à la pêche, à la poire, à la poire flambé, aux prunes, à la pomme, à la pomme jérôme (kirsch, crème pâtissière), au potiron (Brésil), au potiron (Provence, extrait d’amandes amères, cannelle) à l’ananas (Venezuela), au coco (Mexique), aux cerises (dénoyautées), sont des flans.. Vous pouvez croire que le flan meringué (meringue à l’italienne, vanille), le flan meringué de Digne (marmelade d’abricots), le flan meringué au citron, le flan au lait (pâte brisée, crème au lait), le flan anglais (tarte aux pommes), le flan de raisins (dans un tian de Martigues), le flan breton (raisins de Malaga) sont des flans..

Vous pouvez croire qu’avec le calisson, la fougasse, l’oreillette, la bugne, le chichi fregi, la panisse, la fougasse, le capucin, la navette, le nougat, le sabayon, la brousse, le flan, salé ou sucré, est une préparation d’origine méridionale..

N’en croyez rien.

Tous ces prétendus « flans » ne sont que des tartes.
En quoi ils rejoignent le mot d’origine qui désignait n’importe quel gâteau. Et aussi son étymologie : le mot « flan » (« flaon », dès le XII° siècle), viendrait du francique « flado », par l’allemand « fladen », galette, crêpe. Et ce serait donc, nous affirme-t-on, une tarte à la crème aux œufs.

Non.

La recette

Le flan, le seul, le vrai, est une fabrication marseillaise : préparer un caramel traditionnel (faire prendre à haute température quelques cuillerées à sucre dans un peu d’eau), lorsque l’ensemble commence à jaunir, verser dans un moule profond - préparer la crème : mélanger vivement quatre œufs entiers et huit jaunes avec un peu d’eau de fleur d’oranger (à convenance) et un litre de lait bouilli, ajouter 200 de sucre en poudre, agiter vivement à nouveau, verser dans le moule. Poser le moule dans un four tiède, environ 45 minutes (à surveiller), ou, mieux, au bain-marie dans un grand plat rempli d’eau chaude et mis sur un feu léger. Après cuisson, laisser reposer une nuit, servir froid le lendemain.

Exquis, onctueux, délicat, délicieux, savoureux, fin, et plus encore, raffiné..

À ne pas oublier :
« c’est du flan » (de la blague), « à la flan » (sans valeur), « au flan » (au hasard, sans soin), « en rester comme deux ronds de flan » (être stupéfait), et aussi, ne pas oublier que le « flan » est aussi un disque de métal et aussi un carton qui sert à prendre des empreintes.

Henri Deluy et sa soupe au pistou, 1978

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Ci-dessous quelques articles retraçant l’histoire d’AP, par vidéos, audios et témoignages de poètes qui ont participé à la revue et côtoyé HD. Mais d’abord, un entretien pour le dernier numéro d’Action Poétique :




Sandra Raguenet

Questions pour Henri Deluy
Sandra Raguenet : Ceci est donc le dernier numéro d’AP. Y a-t-il une raison
particulière pour cette « fin de partie » ?
Henri Deluy : Non, pas de raison particulière,
- ni financière, notre trésorerie est saine, avec un excédent. La revue se porte bien,
les abonnements se maintiennent, y compris ceux, nombreux, que nous avons d’universités
et de bibliothèques à l’étranger, notamment aux USA, les ventes en
librairie, faibles, il est vrai, ont tendance à progresser,
- ni idéologique (pas de conflit sur l’orientation de la revue),
- ni personnelle (pas de conflit dans le Comité de Rédaction).
Tout simplement, il me semble, et justement dans ces conditions, que le temps est
venu d’arrêter, après plus de soixante ans de publications et d’activités. Par ailleurs,
une revue trimestrielle, avec parfois une pagination au-delà des 200 pages, c’est
beaucoup de travail matériel, et qui me revient, dans la mesure où j’en assume une
bonne part (dossiers à préparer, commissions à contacter, rapports avec le
maquettiste, l’imprimerie, le transporteur, réception des exemplaires, préparation
des envois, mises sous enveloppes, expédition, réponses aux poèmes reçus ou aux
questions posées par les lecteurs, courrier général..), et c’est un travail que je fais
depuis soixante ans (je sais, je suis sans aucun doute responsable de ne pas avoir été
capable de partager cette masse de travail !).
Autre chose encore, les conditions de fabrication, de diffusion, de collecte des textes,
ont tendance à se compliquer, et, à vrai dire, je les supporte de moins en moins bien.
- Est-ce une décision prise par le Comité de Rédaction ?
Certains regrettent une non - transmission, une sorte de « après moi le
déluge »

- Dans le Comité, en effet, une résistance s’est manifestée : pourquoi ne pas
continuer avec quelqu’un d’autre pour l’animation et la direction de la revue ? Une
discussion que nous avions eue à plusieurs reprises, déjà, au cours des ans (je pense
à un arrêt de la revue depuis près de 20 ans !), et qui se terminait toujours par la
même constatation : pour le meilleur et pour le pire AP demeure en grande partie
l’aventure de H.D. (ce qui ne diminue en rien le rôle, d’autres poètes et écrivains,
comme Paul Louis Rossi et Franck Venaille, qui, pour prendre un exemple, tiennent
la revue à bout de bras lors de mon long séjour en Tchécoslovaquie, vers le milieu des
années 60, ou toutes celles et tous ceux qui ont réalisé des frontons, comme Jacques
Roubaud, Alain Lance, Charles Dobzynski, Emmanuel Hocquard, Martine Broda,
Pierre Lartigue, Mitsou Ronat, Élisabeth Roudinesco, Jean-Charles Depaule,
Bruno Cany, Véronique Vassiliou, Isabelle Garron, Christophe Marchand-Kiss,
Liliane Giraudon, ou Paul Louis Rossi à nouveau, ou Jean-Pierre Balpe qui, en
outre, assure, avec Michel Ronchin, l’administration durant de nombreuses
années, ou encore ceux qui ont tenu longuement des chroniques comme Maurice
Regnaut, Claude Adelen ou encore Yves Boudier, qui a repris l’administration depuis
quelque temps et demeure l’un des animateurs de la revue, ou la quasi totalité des
membres du Comité actuel. Sans oublier les nombreux ami(e)s dont la collaboration
suivie a été précieuse (Yves di Manno, Yvan Mignot, Gérard Noiret, Patrick
Beurard-Valdoye, Michel Plon, Patrick Laffont, Jean-Pierre Bobillot, Louise
Lambrichs, Jacques Henri Michot, notamment).
Une aventure personnelle très élargie, comme on peut le voir, mais en cela aussi elle
demeure une aventure personnelle.
Lorsque je rencontre Gérald Neveu, en 1951, chez le lithographe Jo Berto, dans son
atelier du cours d’Estienne d’Orves, à Marseille, au coeur des bâtiments des
anciennes galères, près du Vieux Port, Action Poétique, une publication qui porte
ce nom, existe déjà. C’est un feuillet, puis un journal politique fait par des poètes
(Gérald Neveu, Jean Malrieu, notamment), 2 numéros parus en 4 ans. À mon
initiative, ce journal devient une revue. Une revue sur laquelle s’impriment, les
tours et les détours de ma vie et de mes engagements. Cette identification
AP/HD – HD/AP demeure inséparable de la revue. Poser la question, c’est déjà,
vous le voyez bien, souligner cette identification. Et, j’insiste, pour le meilleur mais
aussi pour le pire. Non pas un « après moi le déluge », plutôt un « après moi autre
chose », et sous un autre nom.
Car il appartient aux nouvelles générations de créer de nouveaux outils.
- Pouvez-vous en dire davantage sur l’origine de la revue, sur le rôle de Gérald
Neveu, celui de Jean Malrieu ?
- Gérald Neveu, qui parlait peu, qui n’avait aucune forme d’autoritarisme et de
légitimité, donne un sens premier à la création d’AP. C’est autour de lui, de son aura
de vrai poète, et de poète « maudit », comme on dit, c’est-à-dire non reconnu et à
l’écart des attitudes, des façons de vivre de la plupart, c’est autour de Gérald que se
crée le noyau sensible, le noyau sentimental et imaginatif aussi, de ce qui va devenir
AP. C’était dans l’immédiat après guerre, dans un climat de « surréalisme révolutionnaire»

qui était le nôtre. L’écriture de Gérald correspondait bien, à notre sens,
à cette volonté de rester proche des révoltes et des écritures tourmentées du
surréalisme ; elle démontrait aussi, pour nous, que le poème avait son autonomie,
qu’il se jouait à l’intérieur de la langue, qu’il était un objet de conflit, une chose
violente. Jean Malrieu, était, avec Jean Todrani, celui d’entre nous qui avait le plus
de présence dans le milieu de la poésie. Il fréquentait régulièrement « Les Cahiers
du Sud », il était un ami de Jean Tortel et des surréalistes, surtout d’André Breton.
Il venait d’une famille de résistants, sa soeur avait été déportée et n’était pas
revenue. Le plus activiste de nous tous, le plus chaleureux et le plus optimiste, celui
aussi qui croyait le plus à un rôle de la poésie et du poète (« Je suis un menuisier des
mots », a-t-il écrit), à ce titre, il a joué un rôle de premier plan dans la création du
groupe (avant de devenir « Action Poétique » les premiers feuillets publiés étaient
signés « Le groupe des jeunes poètes de Marseille », sans doute en écho au
« Groupe des jeunes poètes » qui s’était créé à Paris, à l’initiative d’Elsa Triolet et
sous la bannière d’Aragon). D’autres ont été présents, tout en gardant leurs

distances, André Libérati, très lié au mouvement surréaliste (et qui me présentera,
plus tard, à Aragon, puis à Benjamin Péret), Guillaume Loubet, d’autres encore,
nous étions une bonne douzaine aux réunions qui se déroulaient dans une salle du
« Bar de la Gaieté », dans le quartier Vauban sur les hauteurs de Marseille. C’est là
que j’apprends à connaître Gérald, Jean Malrieu et Jean Todrani, Joseph Guglielmi,
et les autres. Et c’est de ce contact entre eux et avec eux, puis un peu plus tard avec
d’autres, Jean-Jacques Viton, Gérard Arseguel..., qu’est née la revue .
- Qu’est ce qui vous liait ?
- La poésie. Nous étions des lecteurs de poèmes, à l’infini. Et nous pensions avec
Lautréamont que « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique ». Admirateurs
de tous les surréalismes, de tous les futurismes, admirateurs de Neruda, de
Maïakovski, de Ritsos, de Nezval, d’Attila Jozsef, de Nazim Hikmet, de Bertolt
Brecht, de Tristan Tzara, de Paul Éluard..., de leurs écritures et aussi, pour ce que
nous en savions, de leur résistance et de leur courage dans la vie.
• La politique. Nous étions toutes et tous communistes, membres du PCF, et
plusieurs d’entre nous militants actifs. Ne l’oublions pas, de l’immédiat après guerre
jusqu’aux débuts des années 60, la France gouvernementale mène des guerres de
reconquête coloniale (Madagascar, le Maroc, la Tunisie, l’Indochine, l’Algérie, où
50 000 jeunes Français meurent et où entre 1 200 000 et 1 500 000 combattants
algériens disparaissent.), contre ces guerres, les communistes s’insurgeaient (avec
d’autres, bien sûr...), et nous étions de toutes les manifestations, de toutes les fêtes
populaires, de tous les défilés (avec notre banderole « La poésie au service du
peuple »).
• Un goût prononcé pour les errances dans les bars, pour les rencontres qu’on y
faisait, de jour comme de nuit, pour les alcools, et pour les longues heures d’échanges
et de bavardages. Je me souviens d’avoir quitté une brasserie de la Place de l’Opéra
(Le Longchamp ), à Marseille, vers 5 heures du matin, ayant trop bu, pour aller
directement coller des affiches contre la guerre en Algérie.
• Nos origines, notre travail, nous étions presque tous de familles modestes
(longtemps Jean Todrani, qui était dentiste, fut le seul à posséder une voiture, dans
laquelle nous nous entassions), et plusieurs d’entre nous étaient instituteurs
(Malrieu, Guglielmi, moi-même...), promotion sociale, alors recherchée, pour les
enfants « bons à l’école » des familles ouvrières.
• Et notre jeunesse, notre détermination, notre assurance, notre volonté de lier le
mot d’ordre de Marx « Changer le monde », avec celui de Lautréamont « Changer
la vie ».
- En 1958, vous devenez donc le rédacteur en chef d'AP, quelles sont les causes
qui ont motivé cette « prise de pouvoir » ?
- Très simples : la nécessité bureaucratique, il fallait un « directeur » pour les déclarations
au « Journal Officiel », et pour les organismes de la ville, du département ou
de l’état chargés d’enregistrer notre existence, et de répondre à nos demandes.
Nous avons préféré « rédacteur en chef », sans doute en liaison avec “les Cahiers du
Sud », où il y avait un « rédacteur en chef » que nous aimions bien (Léon Gabriel
Gros).

- Comment se sont organisées les relations avec le PC ?
- Action Poétique n’a jamais été un « organe » du PCF. Mais le Parti communiste
savait que nous existions comme poètes. Dans les premières années, il nous arrivait
de lire des poèmes dans les réunions, internes ou publiques. Je me souviens d’une
lecture dans une assemblée de « remise des cartes », en début d’année, au siège de la
section « Port et Marine », en présence de nombreux camarades, et sous leurs
applaudissements. Ce qui ne manquait pas de nous conforter dans l’opinion que les
« travailleurs » étaient ouverts à la poésie, pour peu qu’on la leur fasse connaître..
Nous étions sensibles au danger qu’aurait pu représenter une intervention du Parti
dans la vie de la revue. Et informés. Nous avions eu plusieurs accrochages avec la

Jean-Jacques Viton

direction de la Fédération des Bouches-du-Rhône du PCF, et avec la CGT, pour des
numéros de la revue trouvés insuffisamment conformes ! Nous tenions à notre indépendance
et à notre liberté. Nous avons, à diverses reprises, manifesté notre
désaccord, par exemple, avec l’accent mis par Aragon (puis par Guillevic et d’autres)
sur la versification traditionnelle, le compte des syllabes, la rime. Notre
« surréalisme », même verbal, ne pouvait se satisfaire d’un retour à l’alexandrin et
au sonnet..Mais « Les Lettres Françaises », organe culturel dirigé par Aragon et
Pierre Daix, par l’intermédiaire de René Lacôte, qui tenait la rubrique « Poésie »,
rendaient compte des numéros de la revue, et favorablement.
Ces relations vont peu à peu s’affaiblir, avec l’installation de la revue à Paris, et
surtout avec les révélations, sur le caractère réel du « socialisme réel », caractère sur
lequel, longtemps, nous avons été mal informés, ou que nous ne voulions pas
connaître ; révélations qui finirent par nous convaincre que tout n’allait pas au
mieux de l’autre côté du « rideau de fer ». Nous ne pouvions certes croire le
« Figaro », dans ses dénonciations du stalinisme, alors que ce même journal
soutenait les exactions de l’armée française en Algérie, mais d’autres, nombreux,
près de nous, parmi nos amis, dénonçaient les crimes du stalinisme ; nous ne
pouvions pas les croire, tant était puissante la force de la dénégation, et la peur de
l’inconnu.
Action Poétique, en tant que revue, plus rapidement que beaucoup d’entre nous
individuellement, prend la mesure de ce stalinisme (pour ce qui me concerne, après
des années d’incertitudes, c’est mon arrivée en Tchécoslovaquie, au milieu des
années 60 qui m’ouvre définitivement les yeux).
AP publie, en octobre 1964, un poème de Charles Dobzynski, « Lettre ouverte à un
juge soviétique » qui s’élève vigoureusement contre l’exclusion d’URSS du poète
Yosip Brodski (futur prix Nobel), un poème refusé par Aragon pour « Les Lettres
Françaises ».
La revue s’éloigne de plus en plus du Parti, et parmi nous, les adhérents du Parti se
raréfient (tous, au départ, un seul à ce jour). La revue reste attentive à ce qui se
passe dans le monde, voir les différents numéros, et dans une visée progressiste
incontestable. « L’Humanité » ne nous ignore pas (contrairement à la plupart des
autres journaux), et il m’arrive d’y collaborer (critiques de poésie).
- A.P., dès l’origine, fait le choix de la diversité. Certains vous ont même
reproché votre « porosité ».
-
- Depuis le XIX°siècle, les revues littéraires accompagnent et soutiennent la vie de
la littérature. D’une part, des revues sans orientations esthétiques définies,

ouvertes à la multiplicité des écritures, d’autre part, des revues conçues autour
d’une tendance, ou même d’un écrivain, des revues qui défendent des objectifs
d’écriture et d’engagement précis, à partir, souvent, de positions idéologiques
marquées.
Entre ces deux extrêmes, une multiplicité de variantes. Nous ne voulions pas faire
une revue « communiste » et nous ne voulions pas faire une revue au service d’un
type d’écriture. « Les Cahiers du Sud » étaient notre modèle, sans doute
inconscient. Nous avions des goûts différents, et nous avons largement ouvert la
revue. À un point tel qu’on a tenté de nous mettre en accusation : nous ouvrions nos
pages à « n’importe qui ». L’accusation ne m’inquiète pas, nous avons toujours
partagé, entre nous (pas tous, on va le voir), une certaine méfiance pour les
« théories d’ensemble » et autres fabrications qui se voulaient théoriques. Il faut se
souvenir que les années en question sont celles du « structuralisme », de la
fabrication de « modèles » et de types d’analyses rapidement devenus, dans les
domaines artistiques, réducteurs. Notre attention sur les dangers de ces « théories »
avait été alertée par les retombées politiques, que les découvertes, de plus en plus
prégnantes, des effets du stalinisme mettaient clairement, pour nous, en lumière.
- Attention, volonté hégémonique, appauvrissement..
Donc, diversité, dans les écritures et dans les conceptions de l’écriture.
« Porosité », le mot ne m’alarme pas. J’estime qu’une revue comme la nôtre doit
tendre à donner un panorama, aussi étendu que possible, de ce qui se passe dans le
domaine des écritures de poésie. En France, mais aussi dans le monde.
Cette diversité était inscrite dans la composition, déjà, de notre premier Comité.
Des écritures différentes, des choix esthétiques différents ; la retenue et l’intensité
émotive, la violence intérieure de Gérald, les vastes laisses volontaristes et sentimentales
de Malrieu, qui n’hésitait pas à écrire sur des rouleaux de papier à
tapisserie, qu’il déroulait devant nous lors des réunions, mon propre goût pour les
langues et les poésies étrangères. Nous avons réussi, je crois, à mêler tous ces
courants dans un même souci d’intérêt aux poèmes, d’information et d’enrichissement
du travail de chacun.
- A.P. s’est positionnée contre le théoricisme qui a fini par générer sur
plusieurs années une sorte d’effet pervers, d’abandon de l’effort critique qui

semble revenir aujourd’hui. Contrairement à nombre de revues de création,
A.P. a toujours maintenu cet effort, sous forme de chroniques, de comptes rendus
de livres, d’enquêtes, de dossiers.....
- Les dossiers, pour nous les « frontons », sont une des formes quasi permanentes
que prend la présentation des poèmes dans la revue, et le plus souvent, en ouverture
de la revue. Ils sont d’ailleurs courants dans toutes les revues. Les frontons nous ont
permis de publier des poèmes et autres textes rassemblés autour :
• d’un thème : « Le vers en 1989 », « De la Sextine », « La Cuisine », « Le Tango »,
« DaDa », « Autour de la psychanalyse »..
• d’un mouvement : « Les Grands Rhétoriqueurs », « L’autre poésie », « Die Wiener
Gruppe », « Six femmes de la Beat Generation »..

• d’une confrontation : « Le vers, le poème, la prose, une querelle ? », « Ceux qui
merdrent », « La forme poésie peut-elle, doit-elle disparaître »..
• d’une maison d’édition : « Burning Deck »..
• d’un hommage : « Danielle Collobert », « Christophe Tarkos », « Huguette
Champroux », « Saül Yurkievich »..
• d’un auteur ou d’un ensemble du patrimoine : « Jean de la Fontaine »,
« Les Troubadours », « Les Trobairitz »..
• d’un poète étranger particulièrement significatif : « Ernst Jandl », « Gertrude
Stein », « Kurt Schwitters »..
• d’une poésie nationale : « Palestine, poètes aujourd’hui », « Brésil, nouvelles
générations »...
Dossiers, enquêtes, sont une façon directe d’ouvrir la revue à de nombreuses collaborations,
d’alimenter notre savoir, et notre plaisir.
Les chroniques, souvent tenues, par la même personne, avec une liberté totale
(ce qui peut poser problème lorsqu’un chroniqueur s’en prend à un proche de la
revue), permettent de multiplier les accents personnels, ne pas trop s’éloigner de
l’actualité poétique. Elles sont une des spécificités d’AP, très appréciées des lecteurs.
Elles sont le lieu d’une réflexion sur les pratiques, inséparable des exercices de la
poésie, et nécessaire. Pas de poème sans réflexion sur le poème, disions-nous, un peu
trop sérieusement.
Critiques des poètes par des poètes, les comptes-rendus peuvent favoriser la complaisance.
Nous avons été amenés à les supprimer, depuis quelques années. Mais il
est vrai que nous en avons longtemps publiés.
- C’est vrai que le panorama est très étendu. Il y a tout de même des absents
dans le paysage. Je pense à Ghérasim Luca, par exemple, qui est aussi absent
des anthologies de la poésie française que vous avez faites. Et pour ce qui
concerne la poésie sonore et visuelle l’intérêt est plutôt récent..
- Il y a des absentes et des absents, c’est certain. J’ai eu la chance d’entendre
Ghéracim Luca, et j’en ai été ébloui, puis déçu à la lecture des textes. Pour être
précis, Ghéracim Luca est présent dans le N°147, « L’autre poésie », en 1998 (ce qui
n’est pas si récent), tout entier consacré aux poésies visuelles et sonores, et préparé
par Julien Blaine et Liliane Giraudon.
Et Pierre Lartigue consacre un « fronton » à « Poésie-Performance » (N°88, en
1982). Ces poésies ne sont donc pas vraiment absentes (nous avons aussi, par
exemple, publié plusieurs fois Julien Blaine, et Bernard Heidsieck, dès 1988) , mais
elles sont incontestablement moins représentées que les poésies « d’écriture »,
comme on dit, un peu rapidement. La poésie visuelle et sonore me laisse souvent
insatisfait. Je suis un lecteur, j’aime les livres, l’objet livre, lorsque j’ai entendu et/ou
vu un poète visuel et/ou sonore et que je prends le livre dans lequel ce poète publie,
je suis souvent déçu. C’est, sans aucun doute, pour ce qui me concerne, une limite
(longtemps je n’ai pas été le seul à réagir ainsi). Et nous avons essayé d’en sortir,
difficilement, mais non sans résultat, il n’est que de lire la composition du Comité
actuel..
- AP c’est aussi un intérêt, on pourrait dire une passion, pour les poésies étrangères
qui ont longtemps été très mal connues en France
- Une passion, oui, et c’est sans doute le terrain sur lequel l’histoire AP devient le plus
fortement l’histoire HD. Je suis un passionné de langues étrangères, je pratique plusieurs
langues européennes, n’ai de cesse de m’y plonger et d’en apprendre d’autres, plus lointaines.
Je suis aussi un passionné de voyages, et de voyages à l’étranger.
Dès 1954, AP publie une brochure, « Poètes néerlandais », traduits par Anna Maria van
Soesbergen et moi-même et, dès le N°1 de la nouvelle formule, en 1958, nous publions des
traductions de poèmes de Umberto Saba, dans le N°2, de William Blake, dans le N°3/4,
toujours en 1958, d’Ignazio Buttita et du catalan Jordi Pere Cerda, qui vient de mourir.
Et cela continue, des poètes étrangers sont traduits et publiés dans chaque N°et, très vite,
des ensembles.
Quelques exemples significatifs:
- en 1960, « Poètes portugais », préparé par Jean Todrani
- en 1961, « Cinq poètes présents de la Russie soviétique », préparé par Antoine Vitez

- en 1968, « Quatre poètes tchécoslovaques », préparé par HD
- en 1973, « Spécial Poésies USA », préparé par Jacques Roubaud,
- en 1974, « Hispano-Américains » préparé par Saül Yurkievich,
- en 1976, « Poètes baroques allemands », préparé par Marc Petit,
- en 1977, « Le Printemps italien », préparé par Jean-Charles Vegliante et Valerio Magrelli,
- en 1978, « Poètes Iraniens », préparé par Alain Lance et Pierre Lartigue
- en 1982, « De l’allemand », préparé par Alain Lance,
- en 1985, « Poètes de l’Inde », préparé par Jean-Pierre Balpe,
- en 1989, « États-Unis, nouveaux poètes », préparé par Emmanuel Hocquard,
- en 1998, « 27 poètes de Cuba », préparé par Liliane Giraudon et Jean Portante,
- en 1999, « Tibet aujourd’hui », préparé par Françoise Robin, Liliane Giraudon et HD,
- en 2002, « Poètes autrichiens », préparé par Michèle Grangaud,
- en 2004, « Palestine, poètes aujourd’hui », préparé par Anne Brunswic,
- en 2009, « Dix poètes kurdes », préparé par Amr Ahmed,
- en 2011, « Poètes du Brésil aujourd’hui », préparé par Ines Oseki-Dépré...
Il faudrait citer presque tous les numéros..
Tous ces ensembles de poètes venus d’ailleurs, sont le fruit d’un travail de longue haleine,
mené par des poètes, des traducteurs et des spécialistes des langues concernées, un travail
favorisé, dès 1991, par une collaboration avec la Biennale Internationale des Poètes en
Val-de-Marne, que j’ai créée en 1990 et dirigée jusqu’en 2005.
De nombreux poètes ont su profiter de ces possibilités de traduction et de publication.
Le rapport des Français aux langues étrangères s’est également amélioré, durant cette
période. Beaucoup plus de Français et de poètes français connaissent aujourd’hui des
langues étrangères et voyagent au loin.
Ces traductions, ces rencontres débouchent sur des publications dans la revue, mais aussi
sur des livres (dans nos collections successives - voir les index dans le DVD - ou chez d’autres
éditeurs).

Il convient d’ajouter que d’importantes zones sont restées hors de nos recherches :
l’Australie, l’Indonésie, une grande partie de l’Afrique, la Finlande, la Suède, par
exemple... Et, pour la plupart des pays visés (et plusieurs de ces pays sont de
véritables continents : la Chine, l’Inde..), ce n’est qu’une petite partie des écritures
alors en cours que nous avons pu approcher.
- Les Néerlandais sont particulièrement présents, bien que la dernière
anthologie « Poètes néerlandais de la modernité » ne soit pas une coédition A.P.
- J’arrive pour la première fois à Amsterdam en 1950, très jeune, j’écris depuis
plusieurs années. Je rencontre Anna Maria van Soesbergen à La Haye, chez un ami.

Elle a déjà beaucoup voyagé et parle français. Anna Maria, Ans, disons-nous
connaît bien la poésie et la littérature néerlandaises contemporaines.
Elle m’apprend qu’une nouvelle poésie, très avant-gardiste, occupe le devant de la
scène. Me parle de Bert Schierbeek, un poète-prosateur, qui vient de publier « Het
book Ik », « Le livre Je », un récit dans une prose ultra moderniste, de Lucebert, le
poète considéré comme le plus en pointe d’un groupe nommé les « Vijftigers », de
« vijftig », cinquante, en néerlandais, pour dire les « poètes des années cinquante ».
Je commence à apprendre le néerlandais, et avec l’aide de Ans, nous traduisons sur
l’instant quelques poèmes. Je suis fasciné – ce sont aussi mes premières traductions
– et Ans me propose de rencontrer le groupe des « vijftigers ». Ce que nous faisons.
La sympathie et l’amitié se déclarent rapidement .
Longtemps avec Ans, puis seul, je continue les traductions, et commence aussitôt les
publications. Au cours des ans, plusieurs numéros de la revue seront consacrés à la
poésie néerlandaise et, en particulier, à cette génération.
Je publie plusieurs livres de traductions de poètes néerlandais (Schierbeek,
Lucebert), et, tout récemment cette anthologie « Poètes néerlandais de la
modernité » (2011, Le Temps des Cerises), pour laquelle je fais appel à d’autres
traducteurs (notamment Kim Andringa, Daniel Cunin, Erik Lindner & ma fille,
Saskia Deluy), et pour laquelle, effectivement, on aurait pu concevoir une coproduction
entre les deux maisons d’édition (Le Temps des Cerises et Action Poétique,
dont l’activité éditoriale n’est pas sans importance, voir les index dans le DVD) ;
La poésie néerlandaise demeure l’une des poésies étrangères (avec la poésie USA et
les poésies de langue russe) parmi les plus représentées dans AP.
- Plusieurs générations ont alimenté la revue..
- Génération ? Soit le mot désigne l’âge, soit il désigne la présence dans AP. On peut
distinguer, dès l’origine, deux générations, celle des fondateurs, Gérald Neveu et
Jean Malrieu, mais aussi Nicole Cartier-Bresson, puis celle des premiers
« activistes », dont fait partie Jean Todrani, alors que par l’âge, il est de la première
génération.
Je parlerai donc de génération par rapport à la présence dans la revue.

Louis Pons, Robert Morel Éditeur, 1966

Une génération des fondateurs, puis une seconde génération, avec Jean Todrani,
donc, et Joseph Guglielmi, et HD, à laquelle, très vite s’ajoute des poètes comme
Jean-Jacques Viton, Pierre Guéry, Andrée Barret, Gabriel Cousin, Yves Broussard,
André Liberati, Gérard Arseguel, Sembene Ousmane, les occitans Pierre
Pessemesse et Serge Bec, etc (on ne peut citer tous les noms, se reporter au DVD,
dans lequel on trouvera tous les index).
Fin des années 50, début des années 60, autre génération, avec Alain Lance, Oliven
Sten, Jacques Roubaud, Franck Venaille, Charles Dobzynski, Paul Louis Rossi,
Bernard Vargaftig, Marcel Migozzi, Raymond Jardin, ces deux derniers viennent de
la revue “La Cave”, qui se publiait dans la région varoise et qui rejoint A.P. en 1960,
comme Jean-Pierre Léonardini, Gérard Guégan, Henri Dumollié, qui viennent de la
revue de cinéma “Contre-Champs” qui, durant quelques numéros, se publiera dans
A.P.
Autour de 68, autre génération, avec Marie Étienne, Maurice Regnaut, Pierre
Lartigue, Yves Boudier, Claude Adelen, Élisabeth Roudinesco, Mitsou Ronat,
Martine Broda, Marc Petit, Jean-Pierre Balpe, Gil Jouanard..
Autour de 1980, autre génération, avec Emmanuel Hocquard, Olivier Cadiot,
Liliane Giraudon, Jean-Charles Depaule..
De 1990 à 2000, Christophe Marchand-Kiss, Véronique Pittolo, Michèle Grangaud,
Bruno Cany, Véronique Vassiliou, Isabelle Garo..
De 2000 à 2010, Isabelle Garron, Jérôme Game, Florence Pazzottu, Pascale Petit,
Véronique Pittolo, Éric Houser, Éric Suchère, Jérôme Mauche..
Chacune de ces générations apportent un accent nouveau dans la revue. On peut le
constater lorsqu’on cherche à repérer les grandes étapes.
Exemple : la génération autour de 68, c’est la participation aux évènements, à
l’occupation de l’hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres (sur le
« commando » qui participe à l’opération, les membres de l’équipe d’AP sont les plus
nombreux), la création d’une « Union des Écrivains » qui se voulait à l’image de ce
qu’était devenue l’Union des Écrivains Tchécoslovaques ; avec de nombreuses
réunions (je me souviens de l’une d’entre elles : Milan Kundera, de passage à Paris,
y participe, donne des informations sur ce qui se passe à Prague, et je joue le rôle de
l’interprète), une remise en cause, clairement, des orientations politiques
« communistes orthodoxes » de la revue, l’arrivée de la psychanalyse et de la linguistique,
l’accent mis sur la réflexion à caractère théorique, une présence importante
des poètes femmes..
La génération autour de 1980, c’est, notamment, une plus grande ouverture aux
poésies des USA, la question des rapports poème/prose et de la position du poème
sur la page.
La plus récente génération s’intéresse, plus que les précédentes, aux poésies visuelles
et sonores, à la présence des mouvements du corps dans le poème, à l’effet de
sonorité, à la gestualité. Performance et multimédia deviennent, pour eux, incontournables
Les « grandes étapes » sont difficiles à situer, à part Mai 68, qui fait date et
bouleverse l’état des choses, même dans la vie d’une modeste revue de poésie, les
changements se font lentement, par nuances. C’est dans l’après coup qu’un paysage
se recompose.
- Il y a tout de même des étapes où un « changement » peut clairement se
dessiner..
- L’arrivée de Mitsou Ronat, étudiante linguiste chomskienne convaincue, lectrice
passionnée des « Baroques », et d’Élisabeth Roudinesco, étudiante linguiste,
fascinée par la psychanalyse, fille de Jenny Aubry, célèbre psychanalyste, proche de
Lacan, va changer le caractère de nos réunions : on parlait de poèmes, de
traductions, un peu de politique, à peine, quelquefois, de mathématique, avec
Jacques Roubaud et son ami Pierre Lusson, on se met à parler « niveau de langue »
et « communication », « syntagme » et « polyphonie », « analyse du discours »,
« sujet de la langue » et « maîtres de la langue »..
Elles vont donner à nos activités une assise théorique, peut-être, et même sans
doute, superficielle, mais rassurante.
Je ne sais dans quelle mesure ce « savoir » nouveau a pu marquer les poètes du
Comité, je ne sais même pas quel était notre désir dans ce domaine. Mais je suis sûr
que la marque en a été profonde (malgré la mort accidentelle, jeune, moins de 40
ans, de Mitsou Ronat).

Mitsou et Élisabeth, qui ne manquaient pas d’aplomb, réalisent ensemble, en 1973,
un numéro sur « L’idéologie dans la critique littéraire », dont certains textes sont
aujourd’hui lourds à lire !
Martine Broda apporte avec elle sa passion pour la « langue morte », une langue est
toujours quelque part une « langue morte », disait-elle... Elle apporte aussi son
inquiétude, son rapport extrême au corps, à la mort et au poids des jours, sa
résistance au malheur. Ceux qui l’ont bien connue en ont souvent été bouleversés.
Malgré cette difficulté à vivre, Martine, en quelques années, apporte beaucoup à la

revue (sa vaste culture classique associée à un sens profond du tragique)..
- L’histoire de la revue est aussi faite de départs..
- Nous avons toujours été nombreux dans le Comité, entre douze et dix sept. Il y a
un rapport entre ce nombre et le nombre des départs. Le premier départ significatif
est celui de Jean Malrieu, Joseph Guglielmi, Jean-Jacques Viton, Jean Todrani, et
quelques collaborateurs proches comme Gérard Arseguel, vers le début des années
70. Ils sont sans doute irrités par mon dirigisme et en désaccord avec l’orientation
nettement anti-Tel Quel de la revue, partisans d’une mise en forme théorique des
écritures, et fortement opposés à notre regard très critique sur les « Théories
d’ensemble », alors très répandues, et partisans aussi d’une politisation plus nette,
par rapport aux évènements qui accompagnent Mai 68 (par exemple, la prise en
main, par les ouvriers, de l’entreprise des montres Lipp..). Ils sont aussi plus
éloignés que nous des orientations du PCF, à ce moment là. Ils créent une nouvelle
revue «Manteia», dont Jean Malrieu s’écartera immédiatement, pour créer une
autre revue, ce sera «Sud », moins théoriciste, plus consensuelle, avec une référence
claire, par son titre même, aux « Cahiers du Sud » (disparus en 1967).
Les autres départs qui jalonnent l’histoire de la revue sont de caractère très divers
(pour certains, je ne sais qu’en penser). Charles Dobzynski aurait souhaité qu’AP
reste plus proche des formes de notre patrimoine, il apprécie un lyrisme que nombre
d’entre nous récuse. Olivier Cadiot, s’écarte de la voie strictement poétique, et
réoriente son travail, vers le récit et le théâtre. Jacques Roubaud annonce pour son
soixante dixième anniversaire, et en raison de cet anniversaire, son départ du
Comité d’ AP en même temps que des autres organismes dont il faisait partie. Éric
Giraud, Nicolas Tardy, Véronique Vassiliou, font un passage assez bref au Comité.
Ils réalisent des « frontons », proches de leurs préoccupations, avant de le quitter,
sans conflit. Isabelle Garo, devenue une historienne reconnue du marxisme,
continue, à l’écart d’AP, d’ écrire des poèmes.
D’autres ont quitté le Comité, pour des raisons personnelles de santé ou de
sentiments.
Jean-Jacques Viton est revenu dans le Comité, longtemps après l’avoir quitté.
Joseph Julien Guglielmi, pour sa part, a quitté le Comité trois fois, pour y revenir
chaque fois et y rester, à notre grande satisfaction..D’autres, sorti(e)s, revenu(e)s,
ou pas, ont créé d’autres revues (Banana Split, Irregulomadaire, Chorus, Monsieur
Bloom, IF...)
En fin de compte, les départs ont été plutôt paisibles, comme d’un commun accord,
et sans conflit majeur.

- Et aujourd’hui, qu’est-ce qui réunit les poètes au sein de ce Comité de
rédaction ?
- Action Poétique est un lieu de publication et de diffusion. Et, semble-t-il, la revue
de poésie la plus diffusée en France et à l’étranger. Pour des poètes, qui rencontrent
pas mal de difficultés pour publier leurs manuscrits, c’est une première raison : être
membre du Comité d’AP donne des possibilités de publication, et un certain pouvoir,
si minime et dérisoire soit-il. Le climat de travail est amical, décontracté, chacun
peut proposer et réaliser les « frontons » qu’il souhaite. Chacun peut proposer des
textes d’autres poètes. Se retrouvent dans le Comité actuel, après la récente
disparition de Bernard Vargaftig, des « anciens » (Alain Lance, Jean-Jacques Viton,
Yves Boudier, Claude Adelen, Joseph Julien Guglielmi, moi-même), des moins
« anciens » (Liliane Giraudon, Bruno Cany), et des « nouveaux » (Jérôme Game,
Isabelle Garron, Christophe Marchand-Kiss, Florence Pazzottu, Pascale Petit,
Véronique Pittolo, Éric Suchère)... Les femmes poètes y sont actuellement
nombreuses, très actives.
Les réunions ont souvent un caractère festif agréable, et toutes les propositions sont
examinées. Politiquement, toutes les composantes de la « gauche » sont représentées.
On le voit, ce qui réunit les poètes et écrivains dans ce Comité ne relève pas d’un
consensus idéologique ou esthétique mais bien plutôt d’un travail commun possible,
d’un goût pour la littérature et plus particulièrement le poème..
- Qu’en est-il des relations avec les autres revues de poésie ?
- Quelques-unes des revues que je vais citer ne sont pas, à strictement parler, des
revues de poésie. Mais toutes publient régulièrement des poèmes et consacrent des
ensembles à des poètes. C’est le cas de la première revue avec laquelle nous avons des
rapports : « Les Cahiers du Sud », bien entendu. Les locaux occupent un bel espace
dans l’un de ces grands immeubles qui donnent soit sur le Vieux Port, soit sur le
Cours d’Estienne d’Orves, tout près de la Place de l’Opéra, avec ses bars, et tout
près de la terrasse du Péano, notre point de rencontre quotidien. Nous allons, les
mercredis soirs, à la permanence, où nous sommes bien accueillis. Plusieurs d’entre
nous, ont des rapports amicaux avec Jean Tortel, l’un des animateurs des
« Cahiers », et nous rencontrons souvent Axel Toursky, la nuit, lors de nos sorties.
C’est aussi la revue dans laquelle nous publions nos premiers poèmes. Jean Ballard,
le directeur, malgré son allure de petit bourgeois à gilet est un homme de culture

ouvert à la nouveauté, et il sait écouter (les « Cahiers » publient, par exemple,
« Le pèse-nerfs » d’Antonin Artaud et les premiers textes en France d’Henry Miller,
et aussi Walter Benjamin..). Nous avons, en fait, du respect, et une certaine
admiration, pour cette revue, dont nous faisons mine de nous moquer, et dont le
conservatisme politique « de gauche » nous irrite, AP lui doit beaucoup, même si
nous nous sommes construits en partie contre elle.
Nous aurons peu de rapport avec les revues issues de la dissidence « Mantéia »,
et « Sud ». Très vite après la création de ces revues, AP émigre à Paris.
Fin des années 60 et années 70, nous avons d’excellents rapports avec « Change »,
la revue créée par Jean-Pierre Faye, plusieurs membres de notre Comité sont aussi
dans le Comité de « Change » (Mitsou Ronat, Jacques Roubaud, puis Paul Louis
Rossi, et Yves Buin, Jean-Claude Montel, Jean Paris, Léon Robel, Saul Yurkievich,

sont des amis et des collaborateurs d’AP). Les centres d’intérêt sont assez proches,
plus modernistes, plus concertés, plus savants, du côté de « Change ». D’autre part,
nous sommes avec « Change » contre « Tel Quel », qui représente, à nos yeux, à
l’époque, le théoricisme, la surpolitisation trop habilement menée, l’arrogance..
(mais nous aimons les poèmes de Marcelin Pleynet, de Denis Roche ou de Jacqueline
Risset..).
Nous sommes des lecteurs attentifs et vivement intéressés des riches numéros
spéciaux de la revue « Europe », qui est plus qu’une revue amie. Charles Dobzynski
en est un des directeurs, avec Jean-Baptiste Para, un autre ami, nous y comptons de
nombreux proches et plusieurs d’entre nous sont au Comité de rédaction.
Bons rapports aussi, d’un peu loin, avec « Po&sie », qui publie nombre de textes que
nous aurions souhaité publier, et dont la collection parallèle est une des meilleures ,
en France, aujourd’hui (avec un très beau et très émouvant livre de Martine Broda),
et qui fait, par ailleurs, autour de Michel Deguy, une politique de rencontres
passionnante.
Et nous avons de bons rapports avec « Dock’s », et avec Julien Blaine (qui entre
dans notre Comité avec ce dernier numéro !).
« IF », est une revue plus que proche, comme vous le savez, les trois membres de son
Comité sont membres du Comité d’AP, mais Liliane et Jean-Jacques en sont les
véritables chevilles ouvrières.
Enfin nous lisons avec intérêt toutes les publications que nous recevons, et la
rubrique « Revue et revues », tenue par Yves Boudier, demeure une des plus lues des
numéros d’AP.
- A.P. a aussi porté une attention particulière aux premiers textes...
- Bien sûr, nous avons fait en sorte de publier dans chaque numéro des poèmes de
poètes qui publiaient pour la première fois. C’est la moindre des choses, et ce doit
être, à mon sens, l’un des objectifs prioritaires d’une revue de poésie. Nous avons
publié les premiers poèmes, et les premiers livres de bien des poètes depuis
confirmés (Jean-Michel Espitalier, Philippe Beck, Hédi Kaddour, par exemple...).
- A.P. est aussi éditeur ou co-éditeur depuis le début puis plus récemment avec
la Biennale Internationale des Poètes en Val de Marne que vous avez créée en
1991...
- La publication de la revue s’accompagne, dès les débuts, d’une collection « Action
Poétique ».Et nous n’avons jamais cessé de soutenir cette partie d’une activité qui
n’était pas, pour nous, un complément à la revue, mais autre chose : passer de 4 à 5
pages en revue, à un livre de 80 pages c’est comme changer de registre et donner un
autre terrain au travail en cours (voir les Index dans le DVD, où se trouvent toutes
les indications).
- J’aimerais que nous revenions sur les poésies étrangères, notamment sur les
traducteurs, sans lesquels les lecteurs n’auraient pas accès à ces poésies. Qui
sont les traducteurs qui ont participé à A.P. ?
- Les traducteurs sont en général des poètes, et quand ce ne sont pas des poètes, ils
travaillent en collaboration avec des poètes. Nous avons traduit de toutes les
manières possibles : soit directement, par un poète connaissant suffisamment la
langue étrangère concernée, soit avec l’aide du poète lui-même, lorsqu’il connaît
notre langue, avec l’aide d’un spécialiste de la langue concernée, soit en équipe.
Chacune de ces formules peut donner de bons (ou de médiocres) résultats. Nous
avons fait des traductions, sur place, dans le pays du poète, en sa présence, ce qui est
souvent idéal, et aussi à Paris, ou à Besançon. Les rencontres de Royaumont, à
l’initiative de Bernard Noël, Rémy Hourcade, Emmanuel Hocquard et Claude
Esteban ont été pour nous des exemples passionnants.
Mais traduction aussi seul à seul avec le texte étranger.
- En ce qui concerne les procédés de traduction, la revue a-t-elle adopté une
position particulière ?
- Presque au mot à mot, ou juxtalinéaires, ou très proches du texte original, ou relativement
libre par rapport à lui, traductions, traductions/adaptations, équivalences,
interprétations, Action Poétique a pratiqué toutes les possibilités.

Les réussites ne sont pas rares, elles peuvent ne pas se reproduire, avec le même
traducteur et le même poète..
Le pire reste, évidemment, la métaphrase. Nous avons toujours essayé de l’éviter.
Que la traduction de la poésie soit une « trahison », la belle affaire ! La « poésie »,
cette chose qui serait en suspension dans la langue, n’existe pas, on le sait. Denis
Roche l’a dit, en son temps. Elle ne peut donc se traduire. Ce qui existe, c’est le
poème, une chose concrète, qui lui peut se traduire. Traduire, c’est entrer dans une
autre langue et entrer autrement dans sa propre langue, contrairement au lieu
commun qui voudrait qu’écrire soit déjà traduire.
Nous sommes, quoi qu’il en soit, convaincus que la traduction est non seulement
nécessaire, mais possible, et qu’elle doit sans cesse se renouveler. Pour ce qui me
concerne, la traduction est aussi importante que ma propre écriture.
- Dans le n°82-83 daté du 4 e trimestre 1980 consacré à la crise de l’avantgarde,
vous dites : « l’avant-garde c’est nous (et quelques autres, d’accord).
Nous aurions dû le dire plus tôt ». Quel est le sens de cette phrase ?
Contrairement à Tel Quel, TXT hier et Boxon, Grumeaux plus près de nous, AP
n’a jamais revend
iqué une posture avant-gardiste..
- C’était une petite provocation ! Car, vous avez raison, nous n’avons jamais
revendiqué, ni même souhaité, une posture d’avant-garde, le mot lui-même (trop
militaire, on l’a souvent signalé) nous a toujours paru suspect.
- Dans ce même numéro, vous avez dit : « ça va mal, la poésie va bien ». Diriezvous
la même chose aujourd’hui ?
- C’était une manière de constatation, car, en effet, dans beaucoup de pays, quand
l’état des choses est mauvais, la poésie est de qualité. Ce n’est évidemment pas une
règle, et il n’y a pas de rapport de cause à effet, mais il y a de bons exemples : la
poésie en Espagne face à la dictature franquiste, au Brésil ou en Grèce, face aux
colonels, dans les pays de l’URSS sous le stalinisme, la poésie en Palestine
aujourd’hui, etc.

Couverture de Barbacanne, AP première série, Numéro V, 1956


- Croyez-vous toujours à une efficacité des revues ?
- Efficacité ? Le mot me paraît malheureux. Disons plutôt que la poésie résiste,
qu’elle tient, avec ses propres valeurs, et que les revues tiennent, avec leur propre
consistance. Il est bon que les revues existent, pour les poètes, et pour les langues,
dont elles alimentent le désordre, le renouvellement et la richesse. Ce qui ne signifie
pas qu’elles seront toujours là.
Nous parlons des revues « papier », demeure la question des revues sur d’autres
supports.. L’édition numérique, les « liseuses », internet ouvrent d’autres perspectives,
mais, à mon sens, les revues « papier » persisteront.
- Comment va se passer pour vous cet « après Action Poétique » ?
- Lectures, écritures, traductions, plusieurs chantiers en cours, édition ( ouverture
éventuelle d’une nouvelle collection AP).. Je ne resterai pas sans rien faire..
Mais j’ai beaucoup parlé de moi...C’était sans doute inévitable. Dans mes tentatives
de réponses, vous avez eu une « version/vision » de « mon » AP.
Chacun, ayant partagé cette aventure, a la sienne.
L’histoire des revues, comme l’histoire littéraire, est sans doute une forme de fiction,
une forme d’autofiction à géométrie variable...

http://maison-de-la-poesie-languedoc-roussillon.org/2021/04/claude-adelen-poemes-pour-le-confinement-3.html

Henri Deluy par Claude Adelen, Troisième confinement, Les poètes que j’ai connus, Maison de la poésie Jean Joubert

Le rire homérique d’Henri lors de nos comités de rédaction, rue Emile Dubois, chez Elisabeth Roudinesco et plus tard dans la Maison d'Ivry, sa seconde patrie. Ses colères et son accent marseillais.

Je suis arrivé à Action Poétique en 1971. 40 ans d’Action Poétique. On s’est arrêté en 2012. Action poétique, c’est lui. Il fut l’âme de cette revue. Impitoyable pourfendeur de la vieillerie poétique, du « poétisme » de la niaiserie affective et de l’apitoiement lyrique sur soi. Infatigable voyageur à travers le monde à la découverte des poésies d’ailleurs (Fondateur à ce titre de « La Biennale internationale des poètes en Val de Marne »). Et que dire de l’immense traducteur des poètes russes, tchèques, néerlandais, portugais, j’en passe !

Ah ! nos soirées de travail, nos prises de bec suivies des festins concoctés par le grand cuisinier qu’il était. Je revois l’extraordinaire collection de boîtes de sardines au mur de la cuisine dans sa maison d’Ivry.(Il a fait plusieurs livres de recettes dont "Manger la mer", dont le titre est tout un programme!)

————

Henri je pense à toi, là-bas dans ta ville tant aimée de Marseille où débuta en 1950 la grande affaire de toute ta vie. Cette passion qui a donné du sens à nos vies. Merci Henri, merci Action Poétique.


Éditions Action Poétique, suppléments aux no 69, 1977 et 61, 1975

La précieuse histoire des Cahiers du Sud

Brève histoire de la revue Action Poétique, à écouter surtout pour les interventions de P. Boulanger et L.Giraudon.

Action Poétique, 1ère série, numéro IV, Marseille 1955

Elisabeth Roudinesco

- Hommage à Henri Deluy , Action poétique, 210, 2012.

Je suis un peu triste de célébrer la fin de la publication d’Action poétique. J’y ai fait paraître mon premier article et bien d’autres encore, et les dix années durant lesquelles, aux côtés d’Henri, je me trouvais en première ligne pour la fabrication de la revue ont sans doute été les plus importantes pour ce que j’ai écrit par la suite. Action poétique, puis la librairie La Répétition, qui en prolongeait l’activité, m’ont marquée au point que quand je regarde l’album des photographies prises à cette époque et les tables des matières, je ne peux m’empêcher d’éprouver une nostalgie certaine. Celle de la jeunesse et de l’initiation à l’écriture.

Je ne sais pas si tu as raison Henri mais cela fait longtemps, je le sais, que ta décision est prise.... Et je sais que tu ne regretteras rien. Je ne lirai plus les poèmes vagabonds de tous les poètes du monde, ni les recettes baroques et introuvables : bouillabaisses de berniques, bouillons de haddocks, gratins de moules, tomates à l’ail confit, tête de veau sans oignons, mouclade rosée, rognons à la sauce madeleine, cuits, grillés, rôtis, poule aux bras d’or, safrané de Bavière ou de Palerme. Plus de recettes, plus de poèmes de surréalistes kurdes, irakiens, japonais, mongols, ni de formalistes des républiques du fin fond des steppes. 

Je ne serai plus émerveillée par les chroniques de Claude, ni par le journal érotique de Joseph Julien, ni par la revue des revues d’Yves, ni par les tornades verbales de Liliane - quelle merveilleuse gloutonne de mots - ni par les titres époustouflants dans le genre : «La lampe d’albâtre, l’obscur tournant zoologique, la fille mince, les arts possibles.»

En 1969, les réunions d’Action poétique se tenaient à la maison, puis, à partir de 1975, à la librairie de la rue Saint-André des Arts - aujourd’hui crêperie du pêcheur -, au premier étage, autour d’une table ronde : je me souviens de Mitsou Ronat, trop douce, trop fragile avec son sweet en coeur : nous fûmes pendant longtemps les deux seules femmes de ce comité.

Ma première rencontre avec le comité date de l’automne 1968. Nous entrions alors dans une période de débats incroyables, celui dit des avant-gardes où chaque revue - Tel Quel, Change, Promesse, etc.. - rivalisaient à qui serait le plus performant en matière de «modernité». Il était de bon ton alors de regarder avec condescendance l’art romanesque du 19ème et du 20 ème siècle.

Balzac, Dumas, Hugo, Proust, Thomas Mann étaient considérés comme des auteurs illisibles auxquels on opposait Joyce, Mallarmé, Artaud, Roussel. Tel Quel était la revue la plus sectaire en matière de «ligne littéraire» et de bannissement de l’art romanesque - y compris le Nouveau Roman - au profit de textes dits «textuels» d’un mortel ennui. Combien de fois j’entendis Philippe Sollers - qui voulait prendre la place d’Aragon et devenir le Jdanov des lettres françaises - nous traiter de «staliniens» et nous lancer des anathèmes, dés lors que nous refusions de nous instaurer en censeurs de la littérature. Toutes ces vociférations pour adorer Céline - et surtout celui des pamphlets - et bien pire : Marc Edouard Nabe.

À Action poétique, le climat était à la fois convivial et conflictuel. Jamais d’accusation, ni d’inquisition, ni d’exclusion comme dans d’autres revues. Mais pas mal de violences verbales, toujours stimulantes. Nous étions capables de nous affronter une nuit entière sur des questions qui aujourd’hui semblent loufoques : fallait-il préférer Breton à Aragon, Bataille à Breton, Derrida à Lacan. Que sais-je encore? Fallait-il penser que la folie d’Artaud favorisait son avancée vers le génie ou au contraire vers une dissolution de sa pensée? Avions-nous encore le droit de lire des romans «à l’ancienne» ou devions-nous absolument nous extasier devant le dernier Joyce au prix d’affirmer que rien avant lui ne pouvait tenir la route?

Je dois dire qu’à la différence des autres lieux d’avant-garde, Action poétique faisait preuve d’une grande tolérance envers les goûts de chacun. Et cela, je pense, nous le devions à Henri, lecteur assidu des Trois mousquetaires qui tournait en dérision diktats et  anathèmes. Grâce à lui, mais aussi à Georges Pérec, souvent présent, et qui était dénué de tout esprit sectaire, je continuai tranquillement à savourer la littérature que j’aimais sans avoir à me sentir coupable d’anti-modernité. Le plus drôle, ce fut lorsque l’un des meilleurs poètes de la revue, le plus troublant, le plus inventif, me regarda un jour avec compassion et des yeux ronds d’intelligence trahie, parce que, devant lui, j’osais dire tout le bien que je pensais de A la recherche du temps perdu. Proust, me dit-il d’un air imperturbable, c’est du «roman de concierge», c’est-à-dire de la psychologie. A Action poétique, on ne s’ennuyait pas, sans doute parce que le talent était toujours présent, au-delà de la folie, des excès, des passions, des beuveries, des déclarations insensées. A Action poétique on se disputait toujours, sans haine, ni adoration.

Et puis Action poétique, ce fut pour moi, et en permanence, et avec Henri, surprenant polyglotte de toutes les poésies du monde, internationaliste de la langue, de l’amour et de la gastronomie, le temps des voyages :  Moscou, Prague, Varsovie, Budapest. On y rencontrait chaque année la terrible dégringolade du communisme réel, les écrivains et poètes tenus en laisse par le régime qu’ils détestaient, nous qui étions communistes dans un pays sans communisme.

Je me souviens de ma première visite à Auschwitz-Birkenau avec Henri et Paul Louis Rossi à l’hiver 1972 par moins 20 degrés. Nous étions accompagnés par un lettré polonais qui expliquait combien les lieux étaient désertés par ses compatriotes. Pas de visites organisées, pas d’entretien des bâtiments. pas de lieux de mémoire. Rien. Nous étions seuls à marcher dans les allées entre les baraquements et devant les sinistres vitrines. Et quand je suis retournée en ce lieu vingt-cinq ans plus tard, en plein été, je me dis que je préférai avoir vu l’horreur à nu sans et commentaires ni visites organisées, ni groupes avec sacs à dos et coca-cola, ni photos souvenir. Plus jamais je n’y reviendrai.

Henri était tourné vers l’est et parlait avec sensualité du croiseur Aurore et de Maïakovski, tandis que Joseph Guglielmi, marseillais lui aussi, son double en récits narratifs et souvenirs reconstruits, avait la tête à l’ouest. On l’appelait «Jo», il était l’Américain de la bande à la façon des héritiers de l’immigration italienne. Il dansait autant le swing que le Boogie-woogie ou la java et buvait chaque fois qu’il le pouvait de bar en bar, réclamant comme Lacan, et au nom de la loi du signifiant, sa marque de whisky préférée.

Merci Henri, merci Action poétique.

Vladimir maïakovski, collage Frédéric Deluy



Élisabeth Roudinesco

Extrait de “Écrire d’amour : hommage à Action Poétique”, Cercle Polivanov, Pour J. Roubaud, Mélanges, Cahiers de Poétique comparée, INALCO, 2001.

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Action poétique sera donc une revue agitée, traversée de conflits, de souffrances, de suicides, d’excommunications. Néanmoins, les disputes ne conduisaient jamais à des ruptures définitives. Les poètes de la revue formaient une grande famille et tout départ fracassant se soldait ensuite par un retour, comme si chacun avait à coeur de ne pas briser le cordon qui le reliait à la communauté afin de mieux se disputer de nouveau pour repartir encore et revenir. Jamais Henri Deluy ne cherchera à éviter les agressions verbales, ni les joutes auxquelles se livrèrent, pendant des décennies de ripailles et de beuveries, les membres de ce comité de rédaction hors du commun[1]. Bien au contraire, il stimulait les vivacités, encourageait les controverses sans céder à un quelconque fétichisme d’école. Il se définira lui-même comme un “Pauvre méditerranéen, bavard, prolixe en assertions incertaines et conjecturales[2].”

Il n’empêche qu’avec lui, la revue s’écartera davantage de tout lyrisme pleurnichard pour renforcer l’idée que l’écriture poétique devait être un agir au futur, une manière véhémente de se détacher du passé, de refuser l’historicisme, le “biographisme”, Sainte-Beuve, ses pompes et ses dérives. Sans doute souhaitait-il donner un écho contradictoire à ce que René Char avait avancé au milieu des décombres de l’Occupation : “À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir.”  Autrement dit, si l’acte de résistance se mesure à la capacité du sujet de fusionner dans l’instant présent avec l’action elle-même, avec une action qui se projette déjà dans un avenir, cela veut dire que la poésie doit être un acte, une décision, un écrire. Mais  surtout, elle sera un Écrire d’amour, obéissant à l’injonction de ses pères fondateurs, les Troubadours, pour lesquels l’amour est d’abord la marque constitutive de l’écriture poétique, d’une écriture en acte, et dont l’acte est sexuel. Deluy s’était forgé une sorte de programme : “Pour un maximum de désordre dans un maximun d’ordre”. À y regarder de près, la formule n’était pas étrangère à son être profond, à sa volonté de promouvoir le mouvement sans renoncer à l’interdit, à sa conviction mallarméenne de la nécessité d’une forme capable de subvertir les formes. Elle convenait également à sa boulimie concertée de voyages et de langues étrangères - il en parle une dizaine et en lit plus encore - et à sa manière inimitable de lier l’art culinaire à celui du poème : “L’ail est nu, écrit-il. Plus que la rocambole désabillée ou la ciboule adamite, ou l’échalotte dépouillée, ou le poireau en chemise, plus que la cinette bien en chair, plus qu’aucune de ces plantes vivaces de la famille des liliacées, l’ail est nu[3] .” 

L’énoncé de la recette devait d’ailleurs refléter l’ordre des préférences, un ordre éthique et logique, un ordre de l’amour et de la langue, un ordre dans lequel l’agencement des signifiants confinait à un véritable code de l’honneur. Fallait-il ou non préférer la purée de pommes de terre avec ou sans fromage? Celui qui n’était point capable de dire son opinion risquait fort de n’avoir plus sa place dans le banquet des initiés. Et c’est pourquoi un jour, Georges Perec, apprenant de la bouche de Deluy que le succulent gratin qu’il était en train de déguster contenait des salsifis, répliqua vertement à son hôte : “Le mot m’insupporte, je suis nominaliste, je ne peux plus manger ce gratin”. Il posa sa fourchette et participa ensuite à la “confection” d’un numéro spécial de la revue sur la cuisine.

Après avoir abandonné son métier d’instituteur pour travailler comme journaliste à la Marseillaise, Henri Deluy s’installa à Paris. En 1964, il fut invité pour un long séjour en Tchécoslovaquie par l’Union des écrivains de ce pays. Malgré ce départ, les activités de la revue se poursuivirent à Paris et en province, notamment avec Frank Venaille et Paul Louis Rossi, et les numéros devinrent de plus en plus volumineux. C’est en traduisant des oeuvres poétiques du monde entier que les membres de la revue la dotèrent d’une généreuse ouverture à l’altérité, ce qui ne les empêcha pas de rester attachés à une certaine rigueur de langage. On sait en effet que dans ce domaine, le traducteur de poésie doit être lui-même un poète. Il est sommé de réinventer, dans sa langue maternelle, la forme poétique de la langue de l’auteur qu’il traduit.

Paralèllement, fut amorcée une sévère critique du socialisme réel. Qu’elle se soit faite pour certains au nom d’un communisme des origines, c’est-à-dire d’un communisme désespéré à la manière de Maïakovski, et qu’elle ait été menée à l’intérieur des rangs de ce Parti communiste français auquel avaient adhéré de nombreux poètes de la revue, n’enlève rien à la violence de la rébellion. Bien au contraire. Après 1956, il s’agissait de dénoncer, non seulement le goulag et les crimes commis par le régime stalinien d’Union soviétique, mais aussi de s’opposer à la direction d’un parti qui préférait l’aveuglement à la perte de ses illusions.

………


[1]   - Parmi les principaux membres de la rédaction d’AP, au fil des années : Joseph Guglielmi, Jean-Jacques Viton, Andrée Barret (jusqu’en 1968), Franck Venaille (jusqu’en 1968), Jacques Roubaud, Charles Dobzynski, Paul Louis Rossi, Pierre Lartigue, Marc Petit, Lionel Ray, Maurice Regnaut, Bernard Vargaftig, Gil Jouanard, Jean-Pierre Balpe, Claude Adelen, Alain Lance, Marie Etienne, Emmanuel Hocquart, Pascal Boulanger, Yves Boudier, Michel Ronchin, Mitsou Ronat (1969-1984), Elisabeth Roudinesco (1969-1979), Liliane Giraudon.

[2] -   Henri Deluy, “Entretien...”, op. cit., p. 208.

[3]   -  Henri Deluy, “Le grand aïoli et sa mise en scène”, Ibid., p. 213.

Un hommage tout en tendresse sur Web Radio Zibeline des poètes Liliane Giraudon et Frédérique Guetat-Liviani au poète Henri Deluy, qui atteindra ce jeudi 25 avril 2019, à Marseille, ses 88 ans. Instituteur, journaliste à La Marseillaise, collaborateur de la revue Les cahiers du Sud, puis directeur à partir de 1955, et pendant plus de 50 ans, de la revue  Action poétique, membre du comité de rédaction de la revue If , conservateur de bibliothèque et fondateur de la Biennale Internationale des poètes en Val de Marne, Henri Deluy a aussi été un infatiguable traducteur. Toute une vie consacrée à la poésie, et à l’engagement politique, évoquée ici par deux de ses proches amies.

Alain Paire
Avril 2019

J.P.B

Action Poétique, une revue, un compagnon de route

Les revues Europe et Action Poétique

Un des vecteurs principaux de la poésie vivante est la revue. Il en existe, aujourd’hui encore un très grand nombre puisque l’on parle de plusieurs centaines. La revue est un terrain d’essai de la poésie, un territoire d’entraînement pour les jeunes poètes, un laboratoire et un lieu de débat. Or, parmi toutes les revues qui ont contribué à la diffusion de la poésie, deux d’entre elles, peut-être même, bien que très différentes, les deux plus importantes dans la seconde moitié du vingtième siècle ont été plus ou moins étroitement liées au parti communiste. Ce sont les revues Europe et Action Poétique.

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Cependant, la revue, proche du parti communiste, qui a manifesté le plus grand intérêt pour la poésie, sous toutes ses formes, est la revue Action Poétique qui avec son numéro quadruple … vient de publier son dernier numéro.

L'histoire de la revue Action poétique se confond en ses origines avec la politique1.

Suite à une grève des dockers de Marseille, Jean Malrieu et Gérald Neveu réunissent des poètes et réalisent un journal militant, ronéotypé, qui deviendra trois ans plus tard Action poétique. Il s'agit ainsi, pour les poètes, non pas d'être extérieurs à la société, mais de s'y engager à travers leur propre langage, leur expérience poétique.

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Alain Freixe

P/oésie

Blog- La poésie et ses entours - 15/07/2012

Lu 80 - Action Poétique, L’intégrale, N°s 207/208/209/210, Dernier numéro, DVD rom inclus-collection complète (1950-2012)

Action Poétique. Point d’arrivée en ce printemps 2012 avec retour envisageable vers le N°1 de 1958 et même promenade possible dans les limbes entre 1950 et 1957 grâce au précieux DVD rom qui accompagne la livraison de cet imposant numéro de près de 300 pages. Pour seulement 21 euros, ce numéro et avec tous les numéros numérisés de cette aventure unique dans l’histoire de la poésie de ces soixante dernières années. Unique car une revue poétique résiste rarement aux débats et aux tensions qui finissent par opposer les fortes personnalités de leurs animateurs. Il faut remercier aujourd’hui Henri Deluy d’avoir tenu la barre de ce vaisseau de haut bord dans les tempêtes des temps durant ces 60 dernières années.  Cette livraison est une promesse. C’est une richesse. C’est merveille de pouvoir aller à la rencontre de ce que l’on cherche et, chemin faisant, se perdre dans cette histoire de la poésie de la seconde moitié du XXe siècle - et pas seulement française mais internationale – car c’est toujours de l’étonnant que l’on rencontre. Oui, Action Poétique a joué ce rôle de découvreur, de lieu d’échange, d’espace polémique, de promotion de livres, de leurs auteurs comme des petits éditeurs qui cherchent à les diffuser.

Ceux qui aiment la poésie non seulement d’ici mais d’ailleurs, de notre temps comme de ceux plus anciens, l’histoire des formes, les débats avec l’histoire – Rappelons que proche du PCF, Action Poétique sut toujours rester indépendant, prenons dès les années soixante la mesure du stalinisme - les enjeux de cette entreprise impossible mais toujours reprise de la traduction aimeront la diversité des textes réunis ici pour cette dernière livraison car défilent dans cette somme, selon le strict ordre alphabétique, tous les membres des différents comités de rédaction qu’a connu la revue, les morts comme les vivants, soit près de 80 poètes. Le lien entre tous ces hommes et ces femmes – de plus en plus nombreuses, les années passant mais qui ont toujours joué un rôle important dans la revue, pensons à Mitsou Ronat, Elizabeth roudinesco, Martine Broda… – Henri Deluy nous le donne dans l’entretien qu’il donne à Sandra Raguenet et qui ouvre le livre : « nous étions des lecteurs de poèmes, à l’infini» , des amoureux d’une poésie qui gardait à son horizon ce devoir dont Lautréamont définissait le but : la vérité pratique.

 Action Poétique s’éteint. Henri Deluy passe la main. « Viendront d’autres horribles travailleurs », gageons que la parole d’Arthur Rimbaud sera entendue !

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